Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/08/2015

André du Bouchet, Je suis sur les traces d'un autre

                              AndreduBouchet.jpg

[...]

où le pas est encore plus rare qu’ici, on aura ramassé dans le désert un biface déposé là, où il sera tombé, depuis quelques milliers d’années : la face tournée au dehors, polie, lustrée par le vent.    l’autre, au sol, qu’elle n’a pas quitté, mat et sans lustre.     puis, venue jusqu’à la table du paléontologue qui alors en aura parlé.

 

rien alors, dans ces carnets, qui n’ai été noté dehors, alors que du dehors très peu en soit rendu compte.    mais dehors, comme sortir de soi d’abord sans projet — dehors sans projet, comme retour au silence antérieur lorsque j’avance, qui sera porteur de la parole inattendue qui sera, par éclats, trouvée sans être attendue.    je porte jusqu’au dehors la pensée qui sans le dehors ne serait pas apparue — de moi comme en provenance de ce dehors — éclats de voix, éclats de vent — par instants, et avec l’instant qui ne se soutient pas je ne suis pas le seul à ne pas la soutenir, et je la retrouve, elle l’insoutenable, à travers l’épaisseur silencieuse ou bruyante de tout ce qui lui est réfractaire, et qui engourdit jusqu’à l’absence.

 

André du Bouchet, "Je suis sur les traces d’un autre", dans Europe, "André du Bouchet", n°986-987, juin-juillet 2011, p. 73.

05/05/2015

André du Bouchet, Qui n'est pas tourné vers nous

                           duBouchet.jpg

                Sur le foyer des dessins d’Alberto Giacometti

 

                                             Dessins d’Alberto Giacometti —

par blocs froids détachés de quelque glacier à facettes qui tranchent. La dureté de ce crayon sans ombre qui, à proximité, plus qu’à raison d’une distance, se volatilise. Et, dans l’agrégat rectiligne, ouvertes d’un coup de gomme, avenues par lesquelles l’espace inentamé rapidement afflue. Jusqu’à ce que le trait, repris toujours, et en quête de la dernière surface, toile, air, papier, qui l’en sépare, s’étant interrompu, touche à son objet immatériel. Dessins blancs dans une pièce nue.

 

Quel est cet objet sur lequel sans cesse il revient, objet qui, croirait-on, ne prend corps qu’à l’issue d’un atermoiement prolongé coûte que coûte au point où nous risquerions de le voir se fondre, et perdre dans la haute paroi ?

 

[...]

 

André du Bouchet, Qui n’est pas tourné vers nous, Mercure de France, 1972, p. 9-10. ©Photo Jean-François Bauret.

21/03/2015

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride

                                          André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride,  langue, image, poésie, sentiment

rêvant d’une langue dot les images seraient tellement éblouissantes, profondes et fortes qu’elles tiendraient lieu de toute logique, et du cheminement ordinaire imposé à la pensée.

 

*

 

les mots labourent l’air

on pique lourdement de l’avant

               L’écume

et le litre tordu du sillage

 

Cette image qui vient de sortir a mis exactement dix ans à mûrir. Je m’en content pour la fin de la matinée.

 

*

 

Poésie : comme dans cette récente découverte physiologique où l’on profite du violent sursaut d’énergie vitale accumulée au moment d’un danger extrême.

 

*

 

Je ne peux pas dire ce que je ressens : ce que je ressens ne m’intéresse pas.

Ce que les autres sentent ne m’intéresse pas.

Je m’occupe uniquement des détails de l’accident terrestre.

 

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Carnets 1949-1955, édition établie par Clément Layet, Le bruit du temps, 2011, p. 123, 124, 125, 127.

26/12/2014

André du Bouchet, Orion / Image : Reflets dans l'étang

imgres.jpg

 

 

    au détour de la

route — sorties de la route — deux traces de roue dans les terres.    en novembre deux traces vertes — plus vertes que le vert aujourd’hui de la première levée des semis d’hiver.mais

tranchant, là sur le vert léger étale, ce qui sur cette trace a pu lever l’emporte sur les traces.deux parallèles parties vers le haut se recoupent où le souvenir du tracteur dont les roues sur leur demi-tour auront, en tassant le sol, suscité le surcroît de couleur s’efface dans le versant monochrome.

 

 

là-devant, plus d’une fois l’un ou l’autre — du regard ou sur son pas — a un instant fait halte.

en surplomb le vert — plus vert, là, que le vert, se voit comme retranché du vert.

 

 

la trace, elle, en retrait. le vert, sitôt en avant

de la trace.

 

 

André du Bouchet, Orion, Deyrolle éditeur, 1993, p. 29-30.

 

 

andré du bouchet,orion,poussin,novembre,trace

 

12/08/2014

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Carnets 1949-1955

 

André du Bouchet, Carnets, notes sur la poésie, poème, œuvre d'art

 

 

 

  

André du Bouchet par Giacometti

 

 

 

 

 

 

Rhétorique : dépouillés de la rhétorique, on ne se bat plus que les poings nus. (Ferblanterie des mythologies, armurerie comique et naturelle, etc.) On finissait par ne plus entendre que le choc des armures. Nous sommes aujourd’hui au point si intéressant, si vif, de nous reconstituer une coquille.

 

 

Dire : pourquoi est-ce que j’écris, ou veux écrire — pas exactement pour le plaisir, ou combler les trous du temps — ou précisément pour cela — l’oisiveté finit par se contre dire et donner un pouce à des forces. Si elle est appuyée par quelques inconvénients solides sur lesquels on peut compter — en dehors : travail, gymnastique, bonté, etc.

 

Aujourd’hui, comme chaque jour : il faut que la « poésie » devienne plus (autre chose) qu’un constat ou bien se démette. (Moralité, règle de vie, rythme impératif, non-impérieux — mais le mot est détestable.) 

 

Rhétorique. Le « sonnet » devait être une sorte de garde-fou. Écrits par centaines. Des bonheurs relatifs — et de détail — assez pour rendre heureux dans une certaine mesure — mais dans l’ensemble, une fois bouclé le sonnet, rien de bien moderne, ni qui valait qu’on s’y attache ou s’y abîme. Il n’y avait plus qu’à recommencer. Mallarmé essaie d’en faire un absolu, un gouffre. Il s’y abîme. Tout près, justement, de forcer le langage : il n’écrit qu’une poignée de sonnets , au lieu de la multitude que le genre comporte.

 

De mon côté écrire des poèmes résolument enracinés dans l’effort de l’homme : il sera parfumé des idées du monde ambiant, choyé par le vent. L’eau lui lavera sa sueur. Mais d’abord lui-même —

 

(Reverdy. C’est ça la réalité telle que je la sens et la respire : mais il faut tout redécouvrir pour soi, comme si vous n’aviez jamais écrit, jamais rien dit. Mais cela je ne l’aurais jamais aussi bien su si je ne vous avais pas lu.)

 

ART : perpétuel.

Il n’y aura jamais de terme à cette surprise, à cet étonnement sans précédent que nous donnent un poème, une œuvre d’art, pour aussitôt (à condition de nous avoir donné cette surprise, cet étonnement) rentrer dans tout ce qu’il y a de plus familier. L’homme familier (« miracle dont la ponctualité émousse le mystère », Baudelaire) ne cessera jamais de s’émerveiller de lui-même, de se voir reflété dans les yeux de ses semblables.

 

 

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière arideCarnets 1949-1955, édition établie et préfacée par Clément Layet, éditions Le Bruit du Temps, 2011, p. 30, 31, 33, 34, 44, 58, 62.

31/05/2014

André du Bouchet, Je suis sur les traces d'un autre

André du Bouchet, Je suis sur les traces d'un autre, perte, mots, carnet, distance, temps

                         Je suis sur les traces d'un autre

 

 

                                       je suis sur les traces d'un autre

 

là, je ne me serais pas risqué si un autre — inattendu — ne s'était pas résolu à prendre les devants.     tout cela demeuré, sinon, perdu ou fermé.

 

 la perte même aujourd'hui de ce qui est perdu — mots à la hâte griffonnés debout illisibles, ou carnets eux-mêmes plus d'une fois perdus ou manquants — la perte même de ce qui est perdu m'apparaît aujourd'hui insignifiante.     mesure pour moi d'une distance, hauteur, ou détachement — cela revient au même, et termes synonymes — prise, qui rend, lorsque je m'en avise, les choses plus respirables.     et cette transcription lorsqu'à mon tour, et rapidement, je m'y serai résolu, apport de ce manque — manque sans regret — respirable.

 

perte de ce qui est perdu apparue insignifiante.

 

et voilà, sur ses blancs, pour autrui — et l'œil d'un autre que moi-même je puis être — le temps sur ses fractures à nouveau homogène, comme aisé.

 

[...]

André du Bouchet, Je suis sur les traces d'un autre, dans Europe, "André du Bouchet", juin-juillet 2011, p. 61.

08/01/2014

Paul Celan, Poèmes, traduction André du Bouchet

 

paul celan,parler,la grille,andré du bouchet,toi,regard


En hommage à Jean Bollack : une semaine avec Paul Celan

 

          Parler, la grille

 

Œil-le-rond entre les ferrures.

 

Paupières, cillant,

qui rames amont,

élargis ce regard.

 

Iris, nageur, rogue et sans rêve :

le ciel, cœur gris, n'est pas loin.

 

Déclive, à ce bec du métal,

l'écharde charbonne.

Où la lumière tire,

tu devines l'âme.

 

(Si j'étais semblable à toi. Toi-même, à moi.

Ne sommes-nous pas debout

dans un même alizé ?

Nous sommes étrangers.)

 

Les dalles. Dessus,

entreserrées, l'une et l'autre

flaques gris-cœur :

deux fois

se taire plein la bouche.

 

              *

 

        Sprachgitter

 

Augenrund zwischen den Stäben

 

Flimmertier Lid

rudert nach oben,

gibt einen Blick frei.

 

Iris, Schwimmerin, traumlos und trüb :

der Himmel, herzgrau, muss nah sein.

 

Schräg, in der eisernen Tülle,

der blakende Span.

Am Lichtsinn

errätst du die Seele.

 

(Wär ich wie du. Wärst du wie ich.

Standen wir nicht

unter einem Passat ?

Wir sind Fremde.)

 

Die Fliesen. Darauf,

dicht beieinander, die beiden

herzgrauen Lachen

zwei

Mundwoll Schweigen.

 

Paul Celan, Poèmes, traduits par André du

Bouchet, Clivages, 1978, n. p.

 

 

05/09/2012

André du Bouchet, Carnets ; L'emportement du muet

images.jpeg

 

On ne peut pas quitter la réalité d’un pas — décoller —

 

                                                 *

 

Poésie réparatrice

elle dit souvent ce qui manque. C’est à ce prix qu’elle cesse d’être complaisance et parure — qu’elle constitue un appel ardent à tout ce que l’on croit.

 

                                                 *

 

axiome de la poésie : que cela soit indémontrable et jamais gratuit.

 

                                                  *

La poésie rétablit inlassablement au présent le verbe qui est au passé.

 

                                                   *

 

un poème — qu’est-ce — rien

et pourtant le monde était là

comme le vent dans les tiges

le monde est là — comme le

vent dans les tiges

et aux confins bleus du monde

André du Bouchet, Carnets 1952-1956,, Plon, 1990, p. 5, 6, 19, 36 et 75.

                                                  *

ce qui me sépare des choses n’est pas plus épais

que l’haleine ou le feuillet

de l’autre feuillet

 

André du Bouchet, Carnet 2, Fata Morgana, 1998, p. 11.

 

    sur le point d’être nommé, ce

qu’on voit ayant pris de court, l’omission du nom — fraîcheur reconduite — peut, sans faire défaut, de nouveau s’inscrire dans le temps de la nomination.    Cela

fera comme tache ou

jour.

 

                                                  *

 

Trouver distance sur la page, c’est recevoir ce qu’elle a donné.

 

                                                   *

        … hauteur

atteinte dans la langue, mais du coup, et sans le vouloir, nous nous découvrons soudain portés à la hauteur où chacun tout à tour est atteint.

 

André du Bouchet, L’emportement du muet, Mercure de France, 2000, p. 71, 85, et 119.

13/07/2012

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride

imgres.jpeg

La poésie

               c'est refuser la vie — partie par partie —

   pour l'accepter tout entière —

 

que l'image se pulvérise et devienne dérisoire.

 

La banalité poétique se résorbe aussi bien que l'autre, seulement il faut l'avoir éprouvée, jusque dans la trame — ce qui n'est pas facile

 

                         *

 

Le poète est celui qui, dormant et sachant qu'il dort,

ne se réveille pas —

 

                         *

 

le poème sort avec sa lie

 

hors de sa gangue d'angoisse

et de toute la boue qui le charrie

 

                        *

 

la poésie, c'est cette exaspération des facultés critiques,

               de cette faculté critique qui ne mord pas sur la matière

il y a cette révélation de l'insipide

— de cette clarté

 

qui court en avant d'elle-même

 

ce qu'il y a de plus éclatant, de plus exotique, est comme la préfiguration de sa banalité

 

qui n'est suscité que pour être incinéré

 

l'image n'est que l'indication de sa course, de sa rapidité.

 

Nous sommes — heureusement — en retard sur cette banalité.

 

Notre vie, notre poids, notre étonnement, notre lenteur — notre admiration.

 

on a touché l'essence de la poésie, quand on sent passer ce souffle incolore, ce souffle

 

le vent dont nous sommes affublés

 

le feu, c'est cet immense retard sur la banalité —

 

l'image n'est suscitée que pour être incinérée.

 

 

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Le Bruit du temps, 2011, p. 249, 252, 253, 254-55.

 

01/07/2011

André du Bouchet, La lampe dans la lumière aride (2)

André du Bouchet, poésie, écrire, la lampe dans la lumière aride(Poésie : se rappeler la nuit le matin)

 

Deux poètes, deux poésies :

celle qui s’élabore tandis que le héros reste muet, les mots du silence, celle qui emboîte la parole au héros.

 

Le courage, la volonté d’écrire, n’est autre que de se résigner à se décider à se servir de ces mots défaillants, sans y voir d’avantage ou d’issue immédiate. La mémoire, seule, si faible, dit que ce                                           labeur servira.

                                         les mots défaillants

                                         tous défaillants, tremblants, comme moi,

                                         comme ce bras à nouveau saisi de paralysé

 

Je me suis assis sur un rocher habituellement écrasé par le jour. Rocher trempé d’aurore. Maculé de ces taches de bleu vif orange qui éclaboussaient l’horizon. Lichen encore visible le jour, comme ces végétations marines, adhérant aux roches qui attendent l’heure de la marée pour s’épanouir. Un champ de nuages collait aux mêmes rochers, de disques noirs et blancs enchevêtrés, durement échoués comme ces tas de nuages pavés, durement tassés, écrasés les uns contre les autres, très bas. Le plafond bas du ciel. L'écorce du ciel qui se fendille. Le rocher brillait extraordinairement. Comme un bloc de ciel. Criblé de lichen orange. Dans le village, au départ. Pierraille.

pan de pierres écroulées. Mur dur sourd aveugle au-dessus du bol de feu, muet, de la grande tasse d’eau de l’aube.

Le soc rougi qui laboure la terre.

Lumière aigre de la première lampe au fond du village

                                                           au centre des toits.

 

La poésie tire son obscurité de cet effort de transvaser les qualités des choses dans le langage — refusant de les évoquer directement — comme si elles pouvaient exister en dehors de celui qui parle.

 

Écrire

Parler de la terre. Parler aux hommes, parler, autant se parler à soi-même. On ne sort pas de l’homme. Le reste passe. Et pourtant les seuls êtres différents de soi que l’on puisse concevoir, ce sont les hommes.

Poésie : quand la réalité commence à déserter les images qu’elle a charroyées, et qu’elles apparaissent nues et seules.

Les images nues qu’il faut ramener à la réalité,

         légèrement différentes de la réalité première.

 

Les faits de la réalité trouvent, s’ils sont bien observés, de merveilleuses sonorités dans les mots.

 

 

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Le Bruit du temps, 2011, p. 67, 80, 82-83, 91, 93, 96, 99.

26/06/2011

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride

 

André du Bouchet, Carnets, notes sur la poésie, poème, œuvre d'art

 

 

 

Rhétorique : dépouillés de la rhétorique, on ne se bat plus que les poings nus. (Ferblanterie des mythologies, armurerie comique et naturelle, etc.) O finissait par ne plus entendre que le choc des armures. Nous sommes aujourd’hui au point si intéressant, si vif, de nous reconstituer une coquille.

  

André du Bouchet par Giacometti

 

Dire : pourquoi est-ce que j’écris, ou veux écrire — pas exactement pour le plaisir, ou combler les trous du temps — ou précisément pour cela — l’oisiveté finit par se contre dire et donner un pouce à des forces. Si elle est appuyée par quelques inconvénients solides sur lesquels on peut compter — en dehors : travail, gymnastique, bonté, etc.

 

Aujourd’hui, comme chaque jour : il faut que la « poésie » devienne plus (autre chose) qu’un constat ou bien se démette. (Moralité, règle de vie, rythme impératif, non-impérieux — mais le mot est détestable.) 


Rhétorique. Le « sonnet » devait être une sorte de garde-fou. Écrits par centaines. Des bonheurs relatifs — et de détail — assez pour rendre heureux dans une certaine mesure — mais dans l’ensemble, une fois bouclé le sonnet, rien de bien moderne, ni qui valait qu’on s’y attache ou s’y abîme. Il n’y avait plus qu’à recommencer. Mallarmé essaie d’en faire un absolu, un gouffre. Il s’y abîme. Tout près, justement, de forcer le langage : il n’écrit qu’une poignée de sonnets , au lieu de la multitude que le genre comporte.

 

De mon côté écrire des poèmes résolument enracinés dans l’effort de l’homme : il sera parfumé des idées du monde ambiant, choyé par le vent. L’eau lui lavera sa sueur. Mais d’abord lui-même —

 

(Reverdy. C’est ça la réalité telle que je la sens et la respire : mais il faut tout redécouvrir pour soi, comme si vous n’aviez jamais écrit, jamais rien dit. Mais cela je ne l’aurais jamais aussi bien su si je ne vous avais pas lu.)

 

ART : perpétuel.

Il n’y aura jamais de terme à cette surprise, à cet étonnement sans précédent que nous donnent un poème, une œuvre d’art, pour aussitôt (à condition de nous avoir donné cette surprise, cet étonnement) rentrer dans tout ce qu’il y a de plus familier. L’homme familier (« miracle dont la ponctualité émousse le mystère », Baudelaire) ne cessera jamais de s’émerveiller de lui-même, de se voir reflété dans les yeux de ses semblables.

 

 

André du Bouchet, Une lampe dans la lumière aride, Carnets 1949-1955,éditon établie et préfacée par Clément Layet, éditions Le Bruit du Temps, 2011, p. 30, 31, 33, 34, 44, 58, 62.

04/04/2011

André du Bouchet, "Deux traces vertes"

 

andré du bouchet,vert,orion

Tal-Coat, Dans le pré

 

                                                                                                                           au détour de la

route — sorties de la route — deux traces de roue dans les terres.en novembre deux traces vertes  — plus vertes que le vert aujourd’hui de la première levée des semis d’hiver.             mais tranchant, là, sur le vert léger étale, ce qui sur cette trace a pu lever l’emporte sur les traces. deux parallèles parties vers le haut se recoupent où le souvenir du tracteur dont les roues sur leur demi-tour auront, en tassant le sol, suscité le surcroît de couleur s’efface dans le versant monochrome.

 

 

   là-devant, plus d’une fois l’un ou

l’autre — du regard ou sur son pas — a un instant fait halte.

 

 

en surplomb le vert — plus vert, là, que le vert, se voit comme retranché du vert.

 

 

la trace, elle, en retrait.            le vert, sitôt en avant

                                  de la trace.

 

 

André du Bouchet, "Deux traces vertes" (Pour Pierre Tal-Coat), dans Orion, éditions Deyrolle, 1993, p. 29-30.